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UN PRINCE DU FOOTBALL OÙ LE REGARD DU MODÈLE PAR GORDON ET PARRENO
Zinédine Zidane-Ballon coupe du Monde 2014
Quand ont eu lieu vos premières discussions avec Douglas Gordon sur le projet ?
Pendant une exposition de groupe qui avait lieu sous le stade du Beitar à Jerusalem en 1997. On se retrouvait de temps en temps sur la pelouse pour jouer au ballon, discuter. La première idée était de faire un film qui suivrait uniquement un personnage traversant une histoire. Et puis l'idée est venue de filmer un seul joueur le temps d'un match. Un match dure le même temps qu'un film. On est tous les deux des fans de foot. Le premier joueur et le seul auquel on a immédiatement pensé c'était Zidane. Zidane est un joueur tellement élégant. Il jouait encore à la Juve.
Nous avons reparlé plus sérieusement de ce projet quelques années plus tard. Nous pensions que ce serait impossible.
Comment avez-vous réussi à le convaincre ?
Nous lui avons fait parvenir des catalogues par l'intermédiaire d'avocats du Real Madrid pour lui expliquer qui nous étions. Pas de réponse. Nous avons présenté le projet à un journaliste de L'Equipe, Frédéric Hermel, qui le voit tous les jours à l'entraînement. Zidane lui a dit qu'il acceptait de nous rencontrer, mais qu'un film sur lui ce n'était pas son truc. Nous l'avons rencontré, on lui a montré des images d'archives de Garrincha, de Pelé et de Maradona. Nous lui avons raconté que gamins, on s'approchait de la télévision pour suivre le plus longtemps possible notre héros, notre joueur favori. Je me demandais ce qui se passait quand les caméras de télévision n'étaient pas là. Le film, c'est ça. Paradoxalement, il y a très peu d'images qui restent d'une carrière télévisuelle. Quelques grands moments, des buts, mais rien de cette attitude qui caractérise Zidane. Le match était un match de championnat comme il en joue deux fois par semaine. Il a été attentif à cette idée de temps réel. A la fin, il nous a dit qu'il aimait s'engager hors des sentiers battus, et nous a donné son accord de principe. En trois quarts d'heure, il avait décidé de nous faire confiance.
Pourquoi collaborer avec un autre artiste ?
La notion d'auteur n'a pas grand chose à faire avec celle du copyright ou avec ce que célèbre la télévision pendant les soirées de remise de prix. L'art pour moi est conversationnel. Ce tournage était un vrai défi : un seul match et dix-sept équipes de cinéma dans un stade de 80 000 personnes ! Oui mais finalement le tournage n'a duré qu'une heure et demie, le montage lui a duré neuf mois. Pier Paolo Pasolini expliquait que la meilleure façon d'enregistrer du réel est de multiplier à l'infini les points de vue subjectifs autour de l'événement. La première idée était d'avoir 80 000 caméras vidéo et d'en donner une à chaque spectateur du stade! Le défi aurait pu être plus grand encore.
Il est contraire à la représentation habituelle d'un match de foot de se concentrer sur un seul joueur... De manière générale, il est assez inhabituel de regarder quelqu'un pendant 90 minutes. Qui l'a jamais fait ? On quitte la réalité du match, on ne documente pas l'événement. Le défi est de déclencher une rêverie éveillée, une hypnose porteuse de récit. Pendant un match, Zidane est exposé à plein d'émotions. Il semble presque impassible et pourtant la frustration, le désir, l'envie ou le regret transpirent. C'est une histoire non-linéaire.Zidane Un portrait du 21e siècle, 90 minutes 2006
Zinédine Zidane, dans un film de Douglas Gordon et Philippe ParrenoPhotographie Darius Khondji, musique Mogwai Groupe, Son : Scott Guitteau, Selim Azzazi, Tom Johnson, montage : Hervé Schneid
Les sous-titres traduisent-ils sa pensée ?
Ce choix est arrivé assez tard dans le projet. Zidane a toujours été inconfortable tout au long de sa carrière avec cette idée d'être un porte-parole. C'est intéressant qu'une star comme lui refuse d'être un représentant. Il est dans l'instant, c'est sa force et sa particularité. On lit par l'intermédiaire de sous-titres laser gravés dans la pellicule ses fragments de texte mais en lisant on entend sa propre voix. C'est notre voix pas la sienne. Nous avons utilisé certaines choses que Zidane nous a dites au cours de nos différentes discussions. Rien n'a été enregistré. Tout ce film pose la question de l'enregistrement.
Le travail au montage a dû être complexe ?
Avec Hervé Schneid, le monteur, nous avons travaillé comme quand on réalise un tableau, j'imagine, par couches successives. Une structure s'est dégagée de cela. L'événement était joué et notre travail était de l'interpréter. C'est le visage de Zidane qui dictait le montage. Dans la deuxième mi-temps, il est plus intensément dans le match donc les plans sont plus serrés sur lui. Les choix se faisaient ainsi : l'image est une matière vivante.
Pourquoi avoir choisi Darius Khondji comme directeur de la photographie ?
J'adore sa lumière et sa manière de travailler. Il a un langage que je comprends. Nous avons eu de longues discussions sur les choix à faire. Darius nous a ainsi beaucoup poussés vers le 35 mm. On a construit ce film ensemble.Comment guider les équipes vers le même imaginaire ?
Grâce à une expérience étrange ! Le matin du tournage, nous sommes tous allés au Musée du Prado avec une autorisation spéciale. Nous avons fait un tour des collections, en nous arrêtant sur les peintures noires de Goya. Il fallait donner cette idée qu'on n'était pas en train de suivre un événement mais de l'inventer. C'est la différence entre imaginaire et illusion. Devant les Ménines de Vélasquez, on comprend que ce n'est pas forcément parce qu'on cadre simplement un personnage qu'on le voit. Le son peut aussi amener une lumière, attirer l'attention. Cette visite nous a aidé à parler en termes de peinture et non plus de cinéma. Le film communique de manière post-symbolique.
Pourquoi avoir intégré des images du monde ?
Ces images étaient au départ pour le générique d'ouverture. Et puis on a décidé d'entrer dans le film d'une manière plus directe : d'être directement dans le match sur le coup de sifflet de l'arbitre. On a déplacé cette séquence à la mi-temps. C'est une séquence qui joue un rôle d'ellipse. Au début, nous pensions jouer la mi-temps en ayant un
entracte, avec les lumières qui se rallument dans la salle ! Là, on sort de 45 minutes sur Zidane puis on voit ce qui se passe en temps réel ailleurs dans le monde. Ce jour-là, le vaisseau de Star Wars a été mis aux enchères, des crapauds ont explosé et quelqu'un dans la rue, en Irak, après un attentat portait un T-shirt avec l'inscription Zidane. On n'aurait pas pu écrire ces choses-là. Le film ressemble presque à un western, avec des violences soudaines, des gros plans tendus, des drames. Le film ne néglige pas les frottements, les résistances sont gommées par la télévision. Zidane sue, il transpire, il jure, il crache. C'est une bataille. C'est une image dure, même si le rêve est là. Il n'est pas en représentation esitl à l'instant. Je ne sais pas si ça aurait pu marcher sur d'autres joueurs. Il y a dans ce film des choses qu'on ne voit jamais à la télévision : ses mains, ses gestes... C'est une tradition dans la peinture : l'attention aux gestes, aux doigts qui se lèvent. Ces mouvements racontent quelqu'un. Nous filmons ses pieds quand il n'a pas le ballon, il frappe du bout de sa chaussure le terrain : c'est un geste qu'il fait toutes les huit secondes. C'est un tic qui le raconte. Nous avons mis certaines mécaniques en
évidence comme des rituels.
Dans le film, la foule a une présence extrêmement forte...
Le son rend cette foule vivante, non plus anonyme. Pour comprendre ce que c'est que de jouer devant 80 000 personnes, il faut sentir chaque regard, identifier les gens à l'image plutôt que de les noyer dans la masse. La relation de Zidane au son est très importante : quand on est concentré, on se met à entendre avec son corps, comme il dit "on entend tout et rien". Pour lui, entendre vraiment le public, c'est parfois le signe qu'il est sorti du match. Stanislavski conseillait aux jeunes acteurs de se mettre dans l'état d'un sportif pour dire un texte. D'être dans la performance de l'instant.
Pourquoi avoir choisi Mogwai pour la bande originale ?
Mogwai produit des nuages sonores, c'est une musique qui porte la promesse de récits. Et puis la dureté de leur musique, ce rock tendu avec des larsens de guitare, correspond bien au film. En vrais fans de foot, ils ont tout de suite compris le projet et se sont totalement investis dedans.Comment Zidane a-t-il réagi au film ?
Zidane est venu voir le film seul. La première fois, vraiment ému, il nous a dit : "Quand je me vois, je vois mon frère." C'est une relation un peu étrange, ce n'est pas un acteur porté par une histoire. C'est un portrait. Le regard du modèle sur son image doit être étrange. Il nous a dit "c'est moi".
Comment avez-vous vécu ce passage de l'art contemporain au cinéma ?
Comme Douglas ou comme beaucoup d'artistes de notre génération, j'ai mis les pieds dans un musée assez tard. J'ai grandi avec le cinéma, la musique, la télévision. Je n'ai jamais fait de différence entre un texte, une pièce de théâtre, un film, une musique ou une oeuvre d'art. Pour moi, faire un portrait et le montrer au cinéma, c'est choisir une autre forme d'exposition. Le Radeau de la Méduse de Géricault a circulé au 19ème siècle dans des cirques ! Ce film est un portrait exposé d'une manière différente. Dans les salles de cinéma.
Quel est votre espoir pour ce film ?
Avant le tournage, j'ai visité une école de foot à Dakar. Ce dont j'ai vraiment envie, c'est de montrer le film à ces gamins et de voir leurs regards.
Entretien: Philippe Parreno Anna Lena Films 2006 Plus de lecture clique-iciLe film a été tourné le 23 avril 2005 au stade madrilène de Santiago Bernabéue durant un match de championnat de la Liga espagnole opposant le Real Madrid en blan et noir à Villareal en jaune.
15 caméras 35 mm et deux loupes haute définition fournies par l'armée américaine ont capturé les mouvements les respirations, les amortis et les bruits de crampons de l'un des plus grands joueurs de Football : Zinedine Zidane
« MONDE ET PANTALONS-ILS ATTENDENT QU'ON LES SORTE DE LÀSOLIDARITÉ CONTINUE AUX INTERMITTENTS DU SPECTACLE »
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