• ÇA S'EN VA ET ÇA REVIENT FROM POINT TO EDWY, LE DROIT D'INFORMER, MÉDIAPART

    Mediapart et le droit d'informer: halte au renoncement!

    halte au renoncement!

    Chère Simone Veil, cher Michel Rocard,

    Quand j'ai vu le titre, «Halte au feu!», de votre tribune du Monde sur l'affaire Bettencourt, puis lu sa conclusion invoquant «l'intérêt général, principe supérieur à tous les autres», que recouvre la res publica latine à l'origine de notre mot «république», je me suis dit que vous vous insurgiez contre la dégradation de l'esprit public qui, aux yeux de tous, sous cette présidence, ruine ce bien commun. Et que vous lanciez ce cri d'alarme comme d'autres auraient dit «N'en jetez plus!», pour signifier combien les révélations de Mediapart, spectaculairement prolongées mardi 6 juillet par le témoignage de l'ex-comptable des Bettencourt, étaient décidément accablantes pour le pouvoir actuel.

    L'intégrité qui est d'ordinaire associée à vos parcours, à droite pour l'une, à gauche pour l'autre, aujourd'hui convergents face à la crise politique que nous traversons, devait, me semble-t-il, vous rendre impitoyables devant les manquements à l'éthique, confusions des genres, privilèges et passe-droits, frais de bouche et nominations de complaisance, faits du prince et conflits d'intérêts, grands arrangements et petites prévarications, etc., qui font l'ordinaire de ce pouvoir jusqu'en son sommet. J'ai même cru un instant que votre tribune était motivée par cette stupéfiante lettre du président de la République à son premier ministre, à propos du train de vie des membres du gouvernement où il demande, soudain, que «tous les frais liés à leur vie privée soient acquittés sur leurs deniers personnels et non sur des budgets publics».

    Comment pourriez-vous, me disais-je, ne serait-ce que du bout des lèvres, soutenir un pouvoir dont le chef admet sans honte qu'on y confond volontiers caisses de l'Etat et portefeuille personnel, argent public et dépenses privées? Hélas, je me trompais. Le feu que vous vouliez éteindre n'est pas cette corruption manifeste qui, depuis 2007, déshonore la démocratie et abaisse la République. Non, c'est l'indignation qu'elle suscite, cette insurrection civique grandissante, qui vous inquiète et que vous voulez conjurer.

    A tel point que, dans votre tribune, vous n'évoquez aucun des faits qui, depuis bientôt trois semaines, sur la base des enquêtes de Mediapart, nourrissent un débat public légitime. A vous lire, ces faits, pourtant précis, documentés, concordants et qui s'enrichissent de jour en jour, n'existent pas alors même qu'une décision de justice vient de souligner leur importance et leur gravité, leur légitimité et leur intérêt public.

    En revanche, n'existe selon vous qu'un «spectacle affligeant», ainsi résumé par vos soins: «Attaquer ad hominem, harasser sans relâche, dénoncer sans preuves». Lequel spectacle n'aurait d'autre finalité que de «desservir la démocratie, l'affaiblir et finalement l'asservir», en somme de «porter un coup à la politique, à la République». Bigre... J'aurais aimé croire qu'en l'espèce, vous pensiez à l'élégance langagière du président lui-même, dont un de nos concitoyens fit les frais au Salon de l'agriculture («Casse toi, pauv' con!»), à la façon dont elle a fait école dans le vocabulaire coutumier des porte-parole du parti présidentiel (l'UMP des Frédéric Lefebvre et Xavier Bertrand), à la condamnation pour injures racistes du ministre de l'intérieur, patron de nos polices toujours en poste malgré cet évident discrédit, ou à l'injustice manifeste du procès des jeunes émeutiers de Villiers-le-Bel, aux témoins aussi absents qu'anonymes, bref à l'hystérie constamment diffusée par une présidence qui, depuis trois ans, ne cesse de monter la France contre elle-même, de la diviser et de la brutaliser.

    Mais je me faisais des illusions, pensant à ce que vous avez été, hier, et oubliant ce qui, désormais, vous entrave. Après tout, la Simone Veil qui, jeune magistrate, adhère au naissant Syndicat de la magistrature rêvait d'une indépendance croissante de la Justice, n'imaginant pas le degré d'interventionnisme du pouvoir présidentiel vers lequel nous avons aujourd'hui régressé. De même, le Michel Rocard qui, jeune énarque, adhère au Parti socialiste unifié (PSU), dont on vient de fêter les cinquante ans, refusait une politique dissociée de l'éthique, adepte du double langage et vautrée dans l'imposture démagogique. Un demi-siècle a passé, et il faut s'y résoudre: vous voilà faisant cause commune avec un pouvoir qui est la négation même de vos engagements de jeunesse.

    Ne vous méprenez pas: ici, ce n'est pas l'âge qui fait le tri, mais le présidentialisme, ce césarisme français, notre bonapartisme qui, sans cesse, met à l'épreuve indépendance d'esprit et fidélité à l'essentiel. Ma génération en fit l'expérience sous la longue présidence de François Mitterrand, litanie de courtisans, d'opportuns et de ralliés – à l'époque, autant qu'il m'en souvienne, vous n'étiez pas forcément mécontents de nos résistances journalistiques, à propos de la raison d'Etat (Greenpeace), de l'affairisme financier (Pechiney) ou de la mémoire nationale (Bousquet). D'une présidence à l'autre, l'usure du temps et l'âpreté des intérêts auraient-elles eu raison de votre liberté?

    • Aucun excès, aucun amalgame, aucune calomnie

    «Cause commune», ai-je écrit et peut-être vous récriez-vous. Mais, outre votre constant soutien politique explicite pour l'une et votre compagnonnage d'ambassadeur ou d'expert missionné pour l'autre, il suffisait de lire les éditions du Figaro Magazine et du Parisien qui, le même week-end des 3 et 4 juillet, encadraient celle du Monde où est parue votre tribune, pour ne plus avoir de doute. Les entretiens qu'y accordaient Claude Guéant et Henri Guaino, ces deux hommes qui prétendent diriger notre pays alors qu'ils ne sont là que par la volonté d'un seul, illustraient un argumentaire largement partagé avec le vôtre. «Cette affaire doit interpeller toutes les consciences démocratiques», disait le secrétaire général de l'Elysée, en visant non pas les faits de l'affaire Bettencourt, balayés ou ignorés, mais «les gravissimes manipulations de la gauche». Et le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy de renchérir en dénonçant «la calomnie, le mensonge, l'amalgame» qui «ouvrent la porte à la démagogie, au populisme, au poujadisme».

    Précédés par la complaisante interview de Liliane Bettencourt mise en scène sur TF1, votre tribune et ces deux entretiens relevaient de la même contre-attaque, tant ils épousaient le même schéma: ne rien dire sur les faits, refuser de répondre aux questions, mais faire diversion en attaquant les journalistes qui révèlent et les politiques qui interpellent. Mardi 6 juillet, après nos nouvelles révélations qui le mettent directement en cause, le président de la République et son premier ministre sont restés sur cette ligne de défense: nier en bloc, inventer une «chasse à l'homme» et, excusez du peu, s'en prendre à Mediapart. Nos concitoyens ne s'y trompent pas qui voient bien que cette attitude de dénégation construit des chimères. Ainsi, le week-end où est parue votre tribune, lisant l'entretien du gaulliste Dominique de Villepin dans Libération ou celui de la socialiste Martine Aubry dans Paris Match, je n'y ai vu aucun excès, aucun amalgame, aucune calomnie. Seulement des questions légitimes, empreintes de responsabilité et soucieuses de vérité.

    «Je refuse toute mise en cause personnelle, mais il nous faut revenir aux principes, déclarait Dominique de Villepin. Ainsi aujourd'hui sont en question, outre l'indépendance de la justice, l'impartialité de l'Etat et l'égalité devant l'impôt.» «Cette affaire met en lumière la dérive d'un système, insistait Martine Aubry. Dans quelle démocratie accepterait-on que le ministre du Budget soit aussi le trésorier du parti majoritaire? Que l'épouse du ministre du Budget exerce des responsabilités dans la gestion de la première fortune de France? Dans cette société de l'argent et du toujours plus, certains s'estiment tout permis. Ils ne voient pas que leur désinvolture choque les Français dont la vie est de plus en plus dure et qui veulent que leurs représentants donnent l'exemple. Il faut retrouver le sens de la chose publique.»

    L'élévation du débat à laquelle vous appeliez dans Le Monde est là, dans ce questionnement démocratique et cette interpellation républicaine que vous ignorez superbement. «Qu'a fait, ajoutait Martine Aubry dans Paris Match, Patrice de Maistre, employeur de Mme Woerth, gestionnaire de la fortune de Mme Bettencourt, pour mériter la Légion d'honneur des mains de M. Woerth? Quels sont les versements dont les élus UMP ont bénéficié de la part de Mme Bettencourt et pour quels motifs? Chaque jour apporte son lot de nouvelles révélations que le ministre traite avec arrogance et sans clarification. Ce n'est pas acceptable. Les Français veulent la vérité. Et si des fautes ont été commises, que les conséquences en soient tirées par le président de la République.»

    C'est ainsi que s'entretient le feu vivant de la démocratie, par la vitalité d'une presse libre, par le questionnement d'une opposition déterminée, par les enquêtes d'une justice indépendante. A l'inverse, votre attitude alimente son appauvrissement, voire son extinction tant elle témoigne d'un déni de réalité, mélange d'inconscience démocratique et d'aveuglement social. S'agissant des révélations journalistiques qui, inévitablement, dérangent et bousculent, j'ai coutume, depuis longtemps, de citer cet aimable proverbe chinois: «Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt.» Journalistes, nous ne sommes pas forcément sages. Mais imbéciles, ici, je crois bien que vous l'avez été, avec tout le respect dû à vos intelligences.

    Dans l'espoir d'un retour de lucidité, je voudrais donc vous rappeler que les faits dont il est question depuis plusieurs semaines sont graves; que la presse en général, et Mediapart en particulier, en les révélant fait œuvre utile; et que c'est votre attitude de renoncement qui fait le lit de l'extrême droite.

    • Un grave mélange entre argent et politique

    S'agissant des faits, dire qu'ils sont graves relève de l'euphémisme tant ils dévoilent l'ordinaire trahison de l'exigence démocratique. En théorie, nous sommes tous égaux devant la loi et la loi la plus commune est celle qui remplit les caisses de l'Etat, lui permet de fonctionner, d'administrer et de gouverner: la loi fiscale. Or ce que nous dévoilent les enregistrements clandestins réalisés par le majordome de Mme Bettencourt dans son hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine, c'est, d'une part, les interventions de la présidence de la République auprès de la magistrature en faveur d'une des parties dans un différend judiciaire d'ordre familial et privé; d'autre part, l'organisation d'une évasion fiscale à grande échelle par le gestionnaire d'une des premières fortunes de France, laquelle n'en a pas moins été une des plus importantes bénéficiaires du bouclier fiscal.

    Ces deux entorses flagrantes au principe républicain d'égalité s'accompagnent d'une intrication de relations nouées, d'intérêts croisés et de faveurs accordées entre Liliane Bettencourt et son entourage d'un côté, le parti au pouvoir et la présidence de la République de l'autre. A l'évidence, l'argent en est l'enjeu et le moteur. La fonction de trésorier national de l'UMP du ministre du Budget, devenu ministre du Travail; l'embauche après l'élection présidentielle de son épouse dans la petite équipe chargée de gérer la fortune de Mme Bettencourt; l'organisation par le même Eric Woerth d'un «Premier cercle» de riches donateurs pour le parti présidentiel, dont les réunions se sont parfois tenues dans les palais de la République; les remises de Légion d'honneur, décoration prisée s'il en est, par le même ministre à certains de ces donateurs: autant de pratiques peu compatibles avec les fonctions gouvernementales et la séparation qu'elles supposent entre intérêts publics et intérêts privés.

    De façon apparemment anecdotique mais radicalement significative, ce mélange des genres est illustré par la séance de signatures, en mars dernier, de trois chèques sur lesquels aucune version cohérente ni explication crédible n'a encore été apportée. Des trois, Valérie Pécresse est la seule candidate bénéficiaire, mais la somme indiquée (7.500 euros) dépasse le plafond autorisé (4.600 euros) s'il s'agit de soutenir sa seule campagne électorale. Sans doute destiné à son association personnelle de financement politique – pratique qui, pour le trésorier national d'un parti, ne laisse pas de surprendre –, le chèque destiné à Eric Woerth est encore d'un montant flou, puisque selon les versions de 10.000 euros (au-dessus du plafond légal) ou de 7.500 euros (s'il s'agit d'un parti politique). Enfin, le chèque supposément de 7.500 euros destiné, selon les enregistrements, à Nicolas Sarkozy reste une énigme, la preuve n'ayant toujours pas été rapportée, alors qu'elle serait facile à fournir, qu'il avait pour destinataire l'UMP et non pas le président lui-même – ce qui, pour le coup, serait un grand scandale quel que soit le montant en jeu. Et ce d'autant plus qu'à en croire le témoignage précis de Claire T., l'ex-comptable, ces libéralités vis-à-vis de l'ancien maire de Neuilly ne seraient que le prolongement d'anciennes habitudes...

    Nul besoin d'être un extrémiste poujadiste, tenant du «tous pourris», pour comprendre qu'un tel tableau social ruine la confiance non pas dans la République, ses valeurs et ses idéaux, mais envers ceux qui, l'incarnant au plus haut niveau, s'en affranchissent sans vergogne. La révolte qui gronde est celle des serviteurs de l'Etat eux-mêmes qui s'aperçoivent que, tout en haut, l'on ridiculise cela même qu'ils sont chargés de défendre et d'appliquer, parfois avec rigueur, jusque tout en bas de la société. N'importe quel élève de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) aura vu, dans les enregistrements, outre la fraude fiscale et son blanchiment, de potentiels délits de trafic d'influence, de prise illégale d'intérêt, d'entrave à la justice, voire de corruption, sur lesquels seuls un juge indépendant serait à même de faire la lumière. Et n'importe quel étudiant de l'Ecole nationale d'administration (ENA) aura constaté que, s'agissant du ministre et trésorier Woerth, la situation dans laquelle il s'est placé entache «la probité» de sa fonction à raison de «confusions et conflits d'intérêts», pour reprendre les termes du manuel qui fait autorité en la matière, Déontologie des fonctions publiques, du conseiller d'Etat Christian Vigouroux (Dalloz, 2006).

    Mais il y a pire. Le témoignage, révélé par Mediapart et dont l'auteur est à la disposition de la justice, attestant des versements en espèces au parti présidentiel, via Eric Woerth, et au futur président lui-même, Nicolas Sarkozy, confirme ce que l'on pressentait dès le début de ce feuilleton: la question du financement illégal de notre vie politique est au cœur de cet imbroglio. Or l'un d'entre vous, Michel Rocard, est mieux placé que quiconque pour savoir que de telles pratiques ne peuvent trouver aucune excuse, d'aucune sorte. C'est en effet à partir de 1988, quand vous étiez Premier ministre de François Mitterrand, qu'ont été élaborées les lois garantissant un financement public de la vie politique, des partis comme des élections, afin de mettre fin à ces financements occultes, profondément corrupteurs. Des financements qui, en d'autres termes, ne devraient plus du tout exister et sont encore plus passibles de poursuites aujourd'hui qu'hier, maintenant que la loi républicaine garantit aux partis une aide publique plus que conséquente.

    • L'utilité d'une presse libre en démocratie

    Nos concitoyens le savent trop peu: ce sont près de 75 millions d'euros qui, venus de nos impôts, financent chaque année les partis politiques. Et le parti majoritaire, au double titre des suffrages recueillis par ses candidats et du nombre de ses parlementaires, s'y taille la plus belle part. L'UMP, le parti de M. Sarkozy, dont M. Woerth est le trésorier national, a ainsi touché 32,2 millions d'aides publiques directes en 2007, 34,4 millions en 2008, 33,4 millions en 2009 et, enfin, 33,3 millions en 2010. L'instauration de ces financements publics s'est accompagnée de la création d'instances de contrôle, d'une part la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, d'autre part la Commission pour la transparence financière de la vie politique.

    L'ensemble de ces dispositifs, qui n'ont cessé d'être renforcés depuis vingt ans, rend totalement injustifiable le moindre financement en espèces, selon des circuits occultes et des méthodes opaques. Comment comprendre que le parti, déjà majoritaire, qui allait emporter l'élection présidentielle de 2007 et qui, en plus de ses financements publics, avait reçu près de 9 millions de dons de personnes physiques puisse, de surcroît, récolter de l'argent liquide, qui plus est venu de comptes cachés à l'étranger? Comme expliquer que des responsables de la droite, dont l'actuel président de la République, aient pu régulièrement recevoir des sommes en espèces en se rendant au domicile de Liliane Bettencourt? Comment admettre que le président élu, installé à l'Elysée, puisse continuer à solliciter financièrement la troisième fortune de France?

    Vous objecterez que ce n'est là qu'un témoignage, celui d'une ex-comptable, non assorti de preuves matérielles. Et vous aurez raison, bien que cette confession soit cohérente avec ce qui ressort des enregistrements, s'agissant des liens incestueux entre l'entourage des Bettencourt et l'actuel pouvoir présidentiel. Mais, alors, si l'on ne craint pas ce témoignage, pourtant fort précis, si ce ne sont que calomnies et ragots comme le prétend l'Elysée, qu'attend-on pour désigner un juge indépendant qui fasse la lumière, enquête, recoupe, vérifie, confronte? Ici, la presse indépendante joue d'autant plus son rôle d'alerte vigoureuse que l'entrave à la justice est flagrante, le parquet de Nanterre, juge et partie dans cette affaire Bettencourt, restant toujours seul maître des investigations, sans qu'aucune des parties concernées n'ait accès au dossier.

    Michel Rocard, vous le savez d'expérience: la presse libre est utile à la démocratie. Ce ne sont pas ses révélations qui font le lit de l'extrémisme, c'est l'absence de prise en compte, par les gouvernants, de ce qu'elles dévoilent qui ruine l'esprit public et la confiance démocratique. Il y a plus de vingt ans, sans nos enquêtes sur le financement occulte des partis politiques, vous n'auriez pas pu vous targuer d'avoir, comme Premier ministre, contribué à moraliser notre vie publique. C'est notre travail de journalistes qui vous a aidé et, à travers vous, la République à mettre fin à des pratiques condamnables qui discréditaient la classe politique. Et, à l'époque, vous aviez pu vérifier combien nos concitoyens, à juste titre, ne supportent pas que ceux qui les gouvernement s'émancipent des lois communes, notamment quand la politique se laisse tenter, soumettre et corrompre par l'argent.

    Le 15 juin 1993, éphémère patron du Parti socialiste, vous reveniez dans un entretien à Libération sur le bilan de la gauche de gouvernement, quelques semaines après le suicide de Pierre Bérégovoy qui, à la tribune de l'Assemblée nationale, n'avait pas hésité à dénoncer courageusement «la corruption» au cœur de la République, comme le fait aujourd'hui Ségolène Royal. Dans cette interview, vous aviez confessé votre regret d'avoir porté, en 1989, une loi d'amnistie au bénéfice des élus pris dans des affaires financières: «Jamais je n'aurais dû céder», déclariez-vous, laissant entendre que François Mitterrand vous aurait forcé la main. Et, en effet, cette loi d'amnistie fut désastreuse pour la gauche en particulier et pour la politique en général, donnant le sentiment qu'entre gens du même monde, on s'arrangeait et on se protégeait, de façon à ne jamais rendre de comptes.

    Mais, alors, pourquoi céder aujourd'hui, de nouveau? Pourquoi, à la manière de Tartuffe, ne pas vouloir regarder ce que tout citoyen, quelle que soit sa sensibilité partisane, voit dans cette affaire Bettencourt: des relations incestueuses entre le pouvoir politique et la haute finance, des services rendus, des financements en échange, des complaisances et des protections, etc.? Ce ne sont pas nos révélations, ni le débat public légitime qu'elles suscitent qui minent notre démocratie, mais ce réflexe élitiste d'entre soi social d'un tout petit monde qui se sent propriétaire de la République au lieu d'accepter qu'elle soit le bien de tous, et donc l'exigence de chacun. C'est la frilosité républicaine et le renoncement démocratique qui font le lit de l'extrême droite, bien plus sûrement que les indignations sincères et les questions légitimes que suscitent nos informations.

    Dans un livre qui vient d'être opportunément réédité, Les Scandales de la République (nouveau monde éditions, 2010), l'historien Jean Garrigues, président du Comité d'histoire parlementaire et politique, rappelle que les «affaires» sont toujours porteuses d'une «crise de foi républicaine». Non pas le refus de la République, mais son exigence, notamment ce «respect d'une éthique citoyenne qui veut que l'élu soit imperméable à l'argent». Or les derniers mots de cet ouvrage universitaire résument ce que nourrit notre travail d'information et qui est la seule garantie d'un sursaut démocratique: «Le devoir d'indignation est une vertu républicaine.»

    Edwy Plenel Journaliste président de Médiapart

    MÉDIAPART

    © STUDIO POINT TO POINT

    « J'AI LA MÉMOIRE QUI FLANCHE FROM POINT TO SIMONE ET MICHEL, POINT DE VUE. LE MONDEBERNARD LAMARCHE-VADEL/L'APATHIE-CRITIQUE-ROBERT BRESSON-MOTEUR -L'ARGENT »
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