• L'ART CONTEMPORAIN, POUR TERMINALE PAR FRANÇOIS DAGOGNET #2


    Deuxième heure
    Au risque de vous fatiguer, je voudrais vous signaler que rien ne m'obligeait à venir à Cholet. Vous dire aussi, que vous ne savez peut être pas, mais M. Vendé ne peut pas me démentir car ce que je vous dis est vrai. Comme j'avais été enthousiaste de la lettre qu'il m'avait écrite, c'est moi qui ai demandé à faire cours ici. C'est pas lui qui me l'a demandé, c'est moi qui lui est proposé en signe d'amitié. Alors je lui ai dit : "écoutez, je tiens à faire auprès des élèves qui sont vos élèves deux heures et demain également 2 heures", et encore une fois c'est moi qui ai voulu, qui lui ai dit pourquoi. Je l'ai déjà dit au début et je tiens à le répéter pour clore la troisième partie.
    Marcel Duchamp : alors c'est normalement très important dans l'histoire de l'art. D'abord Marcel Duchamp était un artiste. Il y avait une exposition dans sa ville, il était parmi les commissaires de l'exposition. Il était chargé de recevoir ou de ne pas accueillir les oeuvres qu'on voulait présenter. Or lui, Marcel Duchamp, a osé envoyer un urinoir (enfin, un objet banal) pour qu'il soit donné à l'exposition. Plus fort que tout, lui commissaire qui n'avait pas dit que c'était lui qui l'envoyait, il a été de ceux qui ont refusé qu'il soit accueilli et accepté. Seulement le lendemain, il a dit à ses amis qui dirigeaient des revues critiques, qu'une certaine oeuvre avait été censurée sans dire qu'il avait participé à la censure. Alors naturellement les journaux ont parlé de l'affaire comment une censure, et ce fut là, en partie, la raison du scandale qui allait donner tant d'irradiation à son Ready Made. Je le répète, il envoie quelque chose qu'en même temps il refuse, il avertit qu'il l'a refusé et il met en route la protestation contre ! D'abord le mot le dit bien : "made" veut dire manufacturer, "Ready" : prêt, "Ready Made" déjà fabriqué. Il n'a pu participer à son élaboration. C'est un objet qu'on va acheter dans le bazar ou à la quincaillerie d'en face, et on l'expose au musée. Pourquoi ? L'art devient si compliqué, que maintenant un geste négatif doit devancer la positivité.
    Tout ce que nous avons connu jusqu'ici appartient au règne artistique ; il faut changer de monde et on fera venir l'opposé, ce qui est l'opposé même de l'oeuvre d'art, puisque l'art est alors un objet manufacturé auquel l'artiste n'a pas travaillé, il s'est contenté du geste de déplacement d'un objet profane dans le temple de la sacralité qu'est le musée. Il l'a déplacé et, par la même, il l'a modifié ; d'autant que n'importe quel objet quand il est défonctionnalisé, il est capable de révéler un aspect qui était délaissé, qui est son architecture, qui est sa forme, qui peut avoir un certain équilibre. Il a un volume, il a des caractéristiques. Je le répète quand un objet ordinaire est débarrassé de son usage, il se peut que se lève une autre vue sur cet objet. On va reconnaître une certaine composition, une morphologie nouvelle. C'est un peu le résumé. Mais, je ne veux pas insister là-dessus, j'espère que vous comprenez et vous acceptez avec moi de rapprocher cubisme : l'objet total, collage : retour de l'objet en miette, Ready Made : restitution de l'objet.

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    3. L'art contemporain
    Quatrième période : l'art contemporain.
    Il est temps qu'on en arrive à la quatrième période l'art contemporain puisque c'est l'objet de cette deuxième heure : Qu'est-ce que l'art contemporain ? En quoi consiste-t-il ? Il est clair que pour moi l'art contemporain, quatrième période, va à la fois parce que dans la troisième période on a utilisé des stratégies de retour à la réalité mais elles étaient des stratégies qui avortaient qui n'allaient pas très loin, elles étaient négatives. Elles étaient très ponctuelles avec le collage mettre dans le coin d'un tableau un ticket de métro, c'est quand même pas le retour à la réalité. On ne peut pas dire que le cubisme ait rompu avec l'idéologie spéculaire, c'est-à-dire du regard. Alors la quatrième période doit fêter fondamentalement les montages de la matérialité. J'aimerais évoquer devant vous trois réalisations. J'aimerais évoquer devant vous trois grandes prouesses de l'art contemporain, trois grands moments et vous verrez ce que c'est.
    L'un des artistes qui vient de mourir, il n'y a pas longtemps évidemment, et qui est l'un des plus grands, Dubuffet. Voici par exemple la description d'une de ses oeuvres, vous la lirez facilement dans l'un de ses livres l'un des plus capiteux, des plus enthousiasmants qui est "L'homme du commun à l'ouvrage". Or voici en quoi elle consiste cette oeuvre, écoutez moi bien elle est assez cocasse. Dubuffet nous raconte qu'il va à Rungis très tôt le matin le plus tôt possible, muni d'un petit seau et d'une balayette et une pelle, drôle d'attirail. C'est ainsi alors qu'à Rungis, il se met à balayer les détritus végétaux et animaux ainsi que minéraux, la poussière, le sable, la terre que l'on a piétinée. Il ramasse la boue, ce qu'il y a par terre. Vous vous rendez compte ! Il rentre chez lui. Il mêle à ses détritus dans un contenant ce qu'il y a chez lui : la poussière, les brindilles de fil de sa femme qui a cousu... Il met tout ça dans un contenant, puis il le broie de manière qu'il obtienne un véritable résidu. Après, il l'étale sur un plateau résistant, il le dit lui même, soit en verre, soit en matière plastique mais particulièrement solide parce qu'il faut appliquer cette espèce encore un peu pâteuse. Il faut absolument l'étirer, faire un film. Après quoi, il prend les feuilles de papier, un beau papier blanc qu'il a légèrement humecté d'un peu de colle et il l'applique tout doucement sur ce broyage étalé. Il en tirera une expérience de lithographie, environ une vingtaine de feuilles. A la fin, il appuiera un peu plus fort, c'est ce qu'il appelle les texturologies et les empreintes. Qu'est-ce qu'il va voir ? Je sais que ça vous choque, mais c'est ainsi. C'est un ensemble apparemment grisâtre. Mais quand on regarde d'un peu plus près la matière la plus brisée, elle contient une espèce de liturgie, une espèce de résurrection des choses, elle contient des merveilles. Effectivement si on regarde mieux, on pourrait voir des papillons, des fleurs inconnues, une végétation, une vitalité, une exubérance, l'inimaginable texturologie des heures. L'empreinte, voilà un très bon échantillon de l'art contemporain .
    Je le répète, les matières, la matière parce que il faut bien le reconnaître dans l'antiquité et même à l'âge classique en général on n'a eu recours qu'à des matériaux nobles et naturellement solides comme l'or, le marbre, le stuc. La pierre, que sais-je encore ! Des couleurs ? Il n'y en aura plus. Dans Dubuffet tout est en noir et en gris. Les matériaux nobles ? Il n'y en a plus. J'ai été prendre de la boue. J'ai été prendre, je répète, les matériaux les plus avilis, les plus inexistants, ceux qui étaient ramenés à l'amorphie, et j'essaie de tirer d'eux, de ces matériaux, une texturologie, je répète, de lever la vie, la vie sourde mais infinie qu'elle contient et que je suis entrain de vous mettre en évidence. "L'homme du commun à l'ouvrage" voilà un échantillon de l'art contemporain. L'Hégélianisme avait une explication de l'art typiquement idéaliste. Vous vous rappelez, l'art symbolique, l'art classique, l'art romantique, où l'idée s'affrontait, elle essayait de pénétrer dans la réalité et d'ailleurs moins elle pénétrait plus elle s'exhibait seule, plus on était en présence de l'oeuvre d'art. Là, il n'y a plus d'idée, le matériau, par lui seul, il contient, encore une fois, le pathétique. Dubuffet a été multiple, or vous, vous connaissez de lui la partie que je trouve la moins importante c'est-à-dire celle qui s'intéresse à l'art brut. Alors l'art brut on sait de quoi il s'agit en un mot, ça fait partie d'un même ensemble. Ce sont les artisans les plus frustres, les enfants et surtout les psychotiques parce que ce qui nous brouille tous c'est la rationalité, c'est l'esprit qui manipule les choses, tandis que ces hommes qui sont perdus au monde, ils sont capables d'échapper à nos canons, à nos normes, à nos règles, à nos préceptes, alors ils sont sur la voie de l'art. Mais il n'est pas nécessaire d'être un psychotique pour être un artiste. Vous voyez, moi, (Dubuffet), je viens d'utiliser une procédure, une procédure étonnante, c'est d'amener le monde dans ce qui ne paraît ne plus rien contenir, l'amener à révéler la richesse qu'il enferme en lui-même. Voilà un premier échantillon que j'emprunte à Dubuffet. Evidemment il a intitulé ses grands livres matériologie, je le répète matériologie, texturologie, empreinte, vous verrez toute une foule d'ouvrages il y en a environ une vingtaine.
    Je voudrais donner un deuxième échantillon parce que je vous en ai promis trois. J'exemplifie quelques éléments , quelques prouesses de l'art contemporain. En quoi je le rattache au passé, je le répète le passé n'avait qu'à jeter des passerelles vers le réel. Cette fois-ci, le réel est embrassé pour lui-même. Je le répète le Ready Made n'est pas vraiment une oeuvre d'art, c'est la négation totale de l'art. Avec Dubuffet, on est vraiment cette fois-ci dans la réalité. Peut-être qu'on veut la sortir de sa gangue.
    En voici un deuxième échantillon. C'est un artiste que vous connaissez et que vous n'apprendrez pas, je vais emprunter à Christo, (Christo est le nom qu'il s'est lui-même donné. C'est un vague prénom qu'il a déformé et qu'il a transformé en son nom). Christo, voilà quelle est son opération. Ce que nous voyons à force de le voir nous le perdons. La réalité, nous ne la percevons pas. Alors, qu'est-ce que va faire Christo ? Le paysage, votre lycée par exemple pourrait,..., le Pont Neuf à Paris, le Parlement de Berlin, les paysages américains, il va les enfermer dans un immense suaire, un drap, ou une matière plastique quelconque, peu importe. Il va les dissimuler pendant une quinzaine de jours, cela va être une espèce d'embaumement de la réalité. Et puis après on enlèvera ce qui l'a occulté. Il espère que par là vous verrez autrement le monde et qu'il va le ressusciter. Le monde que nous voyons, nous croyons le connaître alors que par habitude nous glissons sur lui. Mais mettons-le au tombeau et dissimulons-le et puis après quoi, il pourra ressusciter et nous le verrons tant à la fois dans sa réalité que dans sa splendeur. Je n'ose pas dire dans sa vérité. Christo a tenu à souligner qu'il empruntait aussi une technique du monde industriel qui a beaucoup accordé à l'emballage, à la marchandise, mais les marchandises on les emballe et après, quand on les découvre, ça les sauve d'elles-mêmes, ça les agrandit. Moi aussi j'emballe tout et puis je désemballe. Le Pac-kaging c'est une technique commerciale et en même temps religieuse que j'ai transféré au monde artistique dans le but utile de sauver le réel de la lassitude, du conditionnement c'est-à-dire de la non vue. Deuxième échantillon. On a l'embarras du choix, d'ailleurs moi personnellement j'ai commenté beaucoup d'artistes : Vasarely, Hantaï, César, Arman, Michel Paysant etc.
    Le troisième exemple parce qu'il est plus classique. Soulages : ce sera par conséquent le troisième échantillon que je voudrais mettre devant vos yeux. En quoi consiste son innovation ? Pierre Soulages. Alors lui-même reconnaît qu'étant enfant, il avait toujours devant sa pauvre maison, située non loin de Rodez, donc dans les Cévennes, région un petit peu sinistre et noire, donc il avait devant sa maison à la fois un chemin et un mur qui comportaient du goudron et alors, dit-il, déjà enfant, il regardait le goudron parce que le soleil qui le frappait jetait vers lui des lumières qui changeaient de couleurs gris en bleu en jaune. En quoi va constituer l'oeuvre de Soulages ? Je vais vous le dire en un mot : sur une plaque, étendre une matière noire ou brun noire si vous voulez, c'est une matière plus ou moins caoutchouteuse qui est suffisamment souple pour être étendue, et puis il va la rayer, il va la strier avec des brosses, avec des peignes de telle manière que les stries sont dans tous les sens, cela varie avec les tableaux et puis c'est pour tous la même chose d'ailleurs. Mais il n'y a rien à voir sinon ceci. Lui, il voudrait ceci. Si vous vous déplacez quand ce tableau est placé au lieu qui convient, la lumière va se décomposer précisément en fonction de ses aspérités sur lesquelles elle vient buter. Et que verrez-vous ? C'est dans l'obscurité noire et dans les ténèbres que vous verrez la lumière, vous allez voir des reflets extraordinaires qui vont aller d'un violet qui perce à peine, au jaune, au bleu, etc. C'est ça, Soulage : faire en sorte qu'il y ait de la mobilité. Mais surtout le tableau est comme un instrument optique qui permet de décomposer la lumière et de nous révéler son spectre. On était dans un tableau toujours noir en présence d'une lumière toujours simple. Nous allons voir les multicouleurs et la lumière qui entre dans l'angle noir et qui en ressort, surtout si vous vous déplacez, vous verrez, à nouveau les couleurs changer comme un vrai feu d'artifice. C'est un montage destiné à montrer. C'est une expérience à la fois physique et métaphysique. J'ai pris ce qu'il y a de plus pauvre. Je répète, une pâte, un point c'est tout. Je me suis contenté, pour une fois, de la zébrer. Et, à partir de là, je verrais apparaître des multiteintes.

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    Les trois expériences que je vous ai données, évidemment elles sont toutes différentes les unes des autres, elles tendent à montrer que l'art contemporain veut entrer dans la matérialité parce que la matérialité a toujours été exploitée par l'homme, elle a été vouée aux usages mais méconnue. Maintenant, il s'agit de la prendre en elle-même et pour elle-même. La matérialité n'a été exploitée en ce sens que pour introduire l'idée en elle ou l'usage, la fonction. Mais là, il n'y a plus de fonction, c'est une expérience de révélation. D'autre part, l'art contemporain n'est plus une représentation de quelque chose d'autre, il est lui-même pour lui-même. Donc il a un côté expérimental, plus que jamais il faut le rappeler, il est le concret, le grain des choses, il est la présentation. Et on comprend mieux, c'est pourquoi je vous l'ai dit ! Tout ce qu'on a vu préalablement relevait de la représentation et touchait à l'image, maintenant il n'y a plus d'image, c'est un montage, c'est un ensemble réel. C'est d'ailleurs pourquoi l'art contemporain, comme on l'a dit, c'est toujours les artistes, les abstraits. Un artiste américain disait d'ailleurs ceci : "Même quand on a recours à la toile et au tableau, il n'y a aucune raison, il est aussi vrai d'un côté que de l'autre". Vous pouvez le renverser, mettre ce qui est à droite à gauche, ce qui est en haut en bas, ce qui est en avant vous pouvez le mettre en arrière parce que la toile a cessé d'être le cadre dont je parlais, elle est plutôt un torchon qu'on peut tourner dans tous les sens, il n'y a plus de sens ; parce quand il y a un sens effectivement çà voudrait dire qu'on est toujours dans l'optique de la spatialité de type cartésien, c'est pourquoi les artistes n'ont cessé de dire que leur art, par certains côtés, était la transposition de ce qu'avait été le renouveau de la physique et le renouveau du cosmos au début du XXème siècle. Il a défait encore une fois la représentation du monde que nous nous faisions. Alors évidemment ces artistes sont innombrables. Moi je n'ai donné que trois, trois expériences à titre d'échantillon. Je rappelle Dubuffet dont je vous ai parlé en premier.
    J'ai parlé en second de Christo et en troisième de Soulages. On pourrait continuer la liste, je ne vais pas faire un historique, on pourrait aussi bien vous parler de Hantaï, de Viallat. Mais vous verriez que dans tous les cas, on ne peut plus très bien distinguer le peintre et le sculpteur parce que l'oeuvre d'art va de moins en moins s'accrocher au mur et de plus en plus être, comme ils disent eux-mêmes, une installation c'est-à-dire un agencement, une composition. C'est une expérience physico-métaphysique. Je vais vous raconter une histoire qui ira dans le sens de ce que je disais. Il y a trois ou quatre ans je suis allé en Allemagne parce qu'une université, Cologne, m'avait invité pour un exposé. Comme ils étaient, comme ici, très aimables, pour m'être agréable, à la fin de l'exposé, ils m'ont conduit au musée d'art contemporain de Cologne. J'ai été suffoqué. Parce que je suis rentré dans une salle, je dirai une salle qui était au moins huit fois comme celle-ci, elle était immense on aurait dit la salle d'un aérodrome. Alors tout était blanc dans cette salle : la moquette était blanche, les murs étaient blancs, le plafond était blanc. Rien n'était accroché au mur et alors au milieu de la salle, il y avait simplement un tas de pierre mais il était protégé par un cercle de manière qu'on ne pouvait pas aller changer les pierres de place, c'était une espèce de cône. Il y avait donc un tas de pierre qui était là. Un point, c'est tout. Et quand il y avait des Français, ils disaient : j'en ferais autant, c'est ridicule, qu'est ce que ça veut dire ? etc. Entre parenthèses, une des lois fondamentales de l'art et plus particulièrement de l'art contemporain est la suivante : vous n'avez pas le droit de refaire ce que les autres ont déjà fait. Cà c'est le principe souverain et éminent de l'art : l'innovation. Alors si vous allez remettre un tas de pierre ici dans cette salle, vous ne serez pas génial, je vous préviens ! D'ailleurs on a répété plusieurs fois mais la répétition tue l'art. L'art c'est toujours l'entrée dans un monde nouveau. Mais pourquoi ce tas de cailloux à l'entrée du musée d'art contemporain ? C'est un immense Ready Made, c'est pour vous dire : faîtes attention, l'art a changé d'époque et de statut, il n'est plus ce que vous croyez. Mais l'art contemporain est si difficile qu'il s'est coupé en deux, il s'est fracturé en deux : il y a l'aspect négatif à l'état pur, et puis l'aspect positif viendra après. L'aspect négatif c'est de dire "la provocation c'est fini" moi je mets un tas de pierre, j'aurais presque pu mettre un tas de fumier mais pour vous avertir. Maintenant le réel dans toute sa splendeur et sa complexité, les matériaux. Et après quand on aura franchi ce couloir ou ce préambule ou cette propédeutique, on pourra entrer alors dans ce que l'homme aurait appelé des montages et des agencements, agencer des matériaux, les coller, les disposer, créer d'autres dispositions, des événements les uns par rapport aux autres, type Vasarely d'ailleurs. Mais vous le voyez, la quatrième période a, à la fois, nié tout ce qui la précédait parce que tout ce qui la précédait relevait trop de la perception c'est-à-dire du visuel alors que maintenant on va rentrer dans un art où la peinture et la sculpture sont difficiles à différencier, c'est-à-dire pourquoi on ne parle plus de peinture, on parle de plasticité, on dira, par exemple, même à l'université on dit une UFR des arts plastiques.

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    Pour finir, puisque je dois vous laisser un certain temps pour me poser des questions, je voudrais vous montrer que tous les arts ont connu la même dialectique. Par là encore, trois exemples, trois échantillons, trois notations. J'espère que vous avez admis, enfin, vous avez vu que j'ai respecté mes principes. L'histoire de l'art seule permet de comprendre les changements ; vous allez me dire est-ce que ce sont des progrès ? Parce que si on vous demandait au baccalauréat "y a-t-il un progrès dans l'art" ? Evidement qu'il n'y a pas un progrès mais il y a sûrement un changement ce qui est une autre notion. L'art ne cesse d'innover. Progrès non, parce que évidemment à l'exposition de Veermer en Hollande c'est toujours un ravissement ce que vous avez évincé n'a pas perdu encore une fois de son aura. Mais il n'en est pas moins vrai que s'il n'y a pas progrès, il faut qu'il y ait perpétuel changement sinon vous répétez et vous êtes le peintre du dimanche. Même si chez vous, vous appliquez à faire du Veermer, vous n'êtes pas loin du comique parce qu'on connaît. On ne peut pas refaire l'expérience, il faut changer. Je voulais vous montrer que tous les arts ont connu la même tempête. Très rapidement. Alors j'ai bien dit que j'avais utilisé deux principes j'espère que mon exposé les a respectés. Un : c'est l'histoire de l'art qui permet de comprendre l'art parce qu'il n'a cessé de reléguer dans le passé ce qui l'avait précédé. Deuxièmement : la techno-science n'a cessé d'aider l'art à accomplir ses bouleversements. Je voudrais, pour finir, donner trois échantillons puisés dans des arts différents pour vous montrer qu'on retrouve le même mouvement.
    Prenons par exemple le roman, l'art littéraire. Qu'est-ce que le roman contemporain si difficile à lire ? En deux mots, pendant longtemps, le roman a été lié à la narrativité. Je veux dire par là qu'un héros, on le voit naître, on voit sa vie, et on le voit à la fin. On vous décrit un récit. Mais que font des auteurs comme Claude Simon Robbe-Crillet ? Dans un roman de deux cents pages, il va vous décrire pendant cinquante pages le plateau de cette table parce qu'il joue l'immobilité absolue, et la plus angoissante. Il va vous décrire les moindres veines du bois. Comme on l'a dit, ce n'est plus le récit d'un drame, c'est le drame d'un récit, c'est différent. Le roman avait épuisé le temps, il va jouer maintenant le long temps, l'arrêt.
    Je vais prendre un autre exemple : la sculpture, l'urbanisme : ce sont des exemples sur les révolutions. Vous avez sûrement vu si vous n'y êtes pas allés à Paris, une construction. Moi je me suis beaucoup intéressé à un architecte américain Ghéry mais enfin je le laisse de côté. En tout cas à Paris il y a au moins un centre que vous avez déjà vu : c'est le centre Pompidou. Qu'est-ce qui le caractérise ? Alors, c'est très simple. Il est épouvantable apparemment, on dirait une usine à gaz, une raffinerie de pétrole. En réalité je vais vous le dire. Jusqu'ici l'architecture mettait les ornements en dehors et puis elle cachait tout ce qui était ustensilaire au monument : les ascenseurs, les tuyaux de chauffage, les ventilateurs, l'escalator, etc. On vous dissimule une façade ornée, symétrique, etc. Pompidou c'est le contraire. On a mis les viscères au-dehors et puis au-dedans il n'y a rien. C'est le vide absolu puisqu'il faut que les gens puissent circuler au-dedans, si vous allez au-dedans il n'y a rien, strictement rien : il n'y a même pas de piliers. Mettre tout ce qui est généralement en-dedans au-dehors. Mais ce qui est au-dedans on l'a mis au-dehors parce que vous avez au-dedans la luminosité, la circulation, la déambulation facile. Vous avez un ensemble très rationnel, je ne dis pas esthétique mais très convivial ! Je répète, vous voyez la laideur au-dehors par certains côtés et puis la circulation au-dedans. Alors que dans la plupart des autres architectures c'est le contraire. Je le répète le beau au-dehors et au-dedans on s'arrange comme on peut pour camoufler, cacher, etc. On l'a dit, cette architecture est éviscérée, les viscères au-dehors.

    Illustration "En attendant" pointtopoint studio

    Si on prend la musique que vous connaissez encore mieux, on quitte le monde des sons pour celui des bruits et l'électroacoustique. On nous abreuve de bruits, de nouveaux sons, non seulement des bruits mais aussi leurs multiplicités. J'essaie de vous montrer par ces trois échantillons que, là aussi, le tremblement, le changement, la révolution avait eu lieu, la tempête. Je n'ai pris que l'exemple, dans mon exposé, des arts plastiques mais vous voyez qu'ailleurs aussi on aboutirait à des conclusions voisines.
    Question
    Monsieur Dagognet demande à de l'assistance si elle a des questions à poser.
    M. Dagognet, en attendant une question, poursuit :
    Je suis allé faire l'exposé à l'école des Beaux Arts de Nantes parce que j'ai commis un film, écrit beaucoup d'articles sur quelqu'un qui était professeur à l'école des beaux Arts. Je vais vous dire ce qu'il faisait, il s'appelait Emmanuel Saulnier, artiste d'un certain renom puisqu'il a été l'inspecteur général de toutes les écoles d'art en France. Alors lui, ce qu'il fait je vais vous le dire en un mot, il travaille surtout avec le verre et l'eau. Alors, il va vous mettre, au milieu de la salle ou au coin, des récipients j'allais dire, mallarméens, à peine visibles puis éventuellement il y aura un petit courant d'eau, il va mettre un fil que vous ne voyez pas qui va relier par exemple deux grands contenants remplis d'eau et vous verrez, il y aura des transitions imperceptibles. S'il y a des artistes qui ont travaillé avec des matériaux, la boue, [d'ailleurs en littérature il y en a un qui a célébré la boue c'est Francis Ponge que vous aimez sûrement dans le parti pris des choses, il y en a au contraire qui ont préféré des matériaux azuréens, lilliputiens, invisibles, imperceptibles. Je le répète, alors le verre et l'eau, la lumière, Monsieur Saulnier travaillait dans ces dimensions. Certains travaillent dans la graisse, par exemple, il y en a un qui est très célèbre et que j'aime beaucoup, c'est Beuys, par exemple, retenez-le pour votre baccalauréat parce que le prof de philo qui vous lira, il va être tué ! Alors Monsieur Beuys, voila ce qu'il a fait, une oeuvre d'art géante. Monsieur Vendé ne peut pas dire le contraire. Il prend une chaise, il prend une chaise comme celle-là, et puis sur cette chaise, il met un gros paquet de graisse, genre margarine, enfin, une graisse épouvantable. Un point c'est tout. Alors vous vous dites, il est cinglé. Non, c'est un grand artiste, Beuys. Pourquoi ? Je vais vous dire pourquoi. D'abord, là encore, on voit la matérialité, mais la graisse, elle a deux propriétés pour lui. Est-ce que vous connaissiez ce montage, la graisse sur la chaise ? Je ne raconte pas d'histoires ? Non, parce que vos camarades doivent se dire : il est fou ! Il y a deux raisons pour lesquelles il a choisi la graisse. Premièrement, quand beaucoup d'hommes viennent voir ce montage, la graisse, à la moindre chaleur, elle tremble un petit peu. Il aime beaucoup l'interactivité. Tout l'art classique est voué à l'immobilité, mais là, la graisse, elle bouge un peu. D'autre part, il montre que la graisse, en somme, c'est la seule matérialité propre au vivant. Le gras, l'huile, le beurre, etc, il n'y a que les végétaux et les animaux, donc cette matérialité est plus anthropomorphisée que la pierre, la tuile, la brique ou enfin etc, ou le verre. Elle est vivante, c'est ce qu'il y a de vivant parce que, je le répète, les animaux, effectivement c'est leur réserve. Alors il a voulu consacrer ce matériau éminent, d'autre part, je le répète, comme il est dans l'interactivité, elle bénéficie évidemment de toutes les louanges, parce qu'elle tremble un peu, elle serait prête à fondre si on approchait trop. Donc un matériau vivant, un matériau mobile, comment voulez-vous que Beuys n'en ait pas fait, j'allais dire son "beurre" ! Saulnier, lui, travaillait sur des matériaux azuréens et transparents, et le presque rien, le presque pas, le minimal, la minimalité. Donc vous voyez que le monde est riche et l'art contemporain se charge d'assumer la variété des substances, peut-être plus aristotéliciens que hégéliens en tout cas le parti pris des choses.

    M. François Dagognet s'adressant à une personne de l'assistance : Cher ami, j'attends vos questions.
    Réponse :
    Je vois mal ce que je peux dire, je suis peut-être dans un sens le plus ennuyé de l'assemblée pour dire quoi que ce soit. A la fois parce que c'est un exposé sans doute intéressant et que je trouve ça très bien de faire ça ici, avec les élèves de Terminale, mais à la fois effectivement il est "caricatural" c'est sûr oui en un sens, puis c'est vrai pour les exemples d'oeuvres etc, c'est toujours trois choix par exemple "oui il y a des choix". Ce que ça implique de voir les choses comme ça. Je ne suis pas capable de vous le dire. Et puis aussi c'est eux qui sont là et ils sont là pour vous donc c'est peut être pas à moi qui suis aux beaux arts de poser des questions.
     
    Vous êtes trop discret et trop gentil.
    Cette fois-ci, une personne s'adresse à M. Dagognet :
    "Vous critiquiez l'hégélianisme et vous imposez une vision de l'art, votre vision de l'art. Mais est-elle absolument valable ?"

    J'espère que non, c'est votre travail. Mais en tout cas elle est fondamentalement à l'opposé de l'hégélianisme.


    "Pour l'impressionnisme, vous avez imposé l'idée que l'on a aujourd'hui de cet art là. Mais à l'époque il était assez décrié ?

    Oui, tout art nouveau est décrié par définition, parce que tout art est nouveau donc vous avez la protestation de l'académie, tout art fut décrié. Je vous raconte une autre histoire. Je suis allé faire un exposé en Italie dans un grand musée d'art contemporain et alors là j'ai vu le conservateur du musée, il m'a montré trois gros blocs de pierres qui étaient cylindriques et sur lesquels coulait une matière grasse ; il y avait trois blocs etc... et oui c'est un grand artiste contemporain alors il les avait déposés au musée dans l'espoir que le musée allait les acheter mais il demandait une somme qui dépassait pour moi l'entendement. C'était des millions et des millions de francs pour trois blocs de pierre. Il faut être loufoque pour acheter çà, vous vous rendez compte, trois masses de pierre, vous n'allez pas les mettre au milieu de votre pièce ! etc et avec une graisse qui coule sur elle. Moi je lui ai dit : je suis scandalisé qu'un artiste ose demander à un musée une somme inimaginable. Tout art, et là particulièrement, est à tous égard scandaleux, tout art ne peut susciter que du nouveau, ne peut susciter que l'indignation. Il est même probable que le musée aurait dû les acheter car peut-être que demain effectivement ça sera une très grande oeuvre d'art. J'en doute mais on lutte toujours avec ce qui est nouveau.

    M. Vendé pose une question à M.Dagognet :
    Voir le réel est une chose. Mais est-ce que la finalité de l'art est de présenter le réel ? Mon boucher sur son étal présente le réel ! La finalité de l'art n'est-ce pas au contraire de le représenter, éventuellement de créer, de donner des formes et de donner aux jeunes le goût esthétique : n'est-ce pas le signe d'une désespérance contemporaine et de l'impossibilité d'un renouveau authentique c'est-à-dire un re-nouveau dans le sens du mot ? Votre lecture du monde contemporain, mes collègues la signent comme une sorte de désespérance. Est-ce authentiquement une désespérance ? Est-elle assumée par l'artiste contemporain comme telle ? N'y a-t-il qu'une lecture techniciste et matérielle qui puisse effectivement permettre à leur génération, c'est-à-dire aux jeunes de dix-sept ans, de trouver dans l'art la possibilité de s'orienter dans le monde dans lequel ils sont ?

    C'est une lecture. Le doute est tout à fait légitime et d'ailleurs il est répandu, mais je ne le partage pas pour la raison suivante. C'est une liturgie. Moi je pense, au contraire, que les hommes ont saccagé les choses, ils ont méconnu les éléments. La liturgie consiste simplement à vous imposer le respect, à vous montrer qu'ils enferment une inépuisable richesse. Alors je trouve que l'on est en présence d'une véritable sacralité. L'hégélianisme a utilisé la matière, pour lire l'idée. C'était une exploitation par certains côtés. Là, c'est une exhaustion. Voilà, on élève. Mais je comprends que votre lecture soit différente.

    Illustration m. Fin de la séance.

    J'ai été heureux de vous rencontrer et de venir pour remercier votre professeurApplaudissements de la conférence de François Dagonet.

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